Le mur invisible – Marlen Haushofer

mur invisible
©Actes Sud, 1992

Une femme est invitée à passer quelques jours en compagnie de sa cousine et du mari de celle-ci dans un chalet des Alpes autrichiennes. Un soir ceux-ci la laissent au chalet pour se rendre au village. Elle se réveille le lendemain matin isolée par un mur invisible au-delà duquel toute vie semble avoir été stoppée. La femme se retrouve maîtresse de quelques arpents de terre et va vivre au jour le jour de son labeur et de l’indispensable compagnie du chien Lynx, de la vache Bella et d’une vieille chatte. Elle décide un jour de rédiger son journal de bord sur le peu de papier dont elle dispose, sans savoir s’il sera jamais lu.

La protagoniste du roman ne dévoile jamais son nom mais elle n’a pas besoin de le faire puisqu’elle est seule, coupée de toute relation humaine, hors notre nom ne nous distingue qu’en société.

Elle subit l’isolement et finalement s’épanouit. Par sa nouvelle vie régie par les travaux agricoles elle semble cesser de se tromper elle-même :

« Je suis devenue un paysan, et un paysan doit prévoir. Sans doute, je n’ai jamais été autre chose qu’un paysan contrarié. » (p.121)

« C’est depuis que j’ai ralenti mes mouvements que la forêt pour moi est devenue vivante. Je ne veux pas dire que ce soit la seule façon de vivre, mais c’est certainement celle qui me convient le mieux. Et que n’a-t-il pas fallu qu’il se passe avant que je ne parvienne à la trouver. Auparavant j’allais toujours quelque part, j’étais toujours pressée et exaspérée car partout où j’arrivais je devais attendre mon tour. J’aurais tout aussi bien pu flâner en route. Il m’arrivait de prendre conscience de mon état et aussi de l’état du monde, mais je n’étais pas capable de me démarquer de cette vie stupide. L’ennui que j’éprouvais souvent était celui d’un paisible cultivateur de roses à un congrès de fabricants d’autos. J’ai l’impression d’avoir passé ma vie entière dans un tel congrès et je m’étonne de n’être pas tombée raide morte d’écoeurement. » (p. 258)

Ce mur invisible surgi en une nuit peut être interprété comme le symbole de l’escalade militaire dans un contexte de guerre froide, comme le souligne Patrick Charbonneau dans l’étude livrée en fin d’ouvrage. Les événements relatés ne sont pas datés mais le roman a en effet été publié en 1963. Certains lecteurs l’ont perçu comme une représentation de la dépression nerveuse. Pour ma part je ne connais pas suffisamment l’auteure et son oeuvre, en dépit des quelques recherches que j’ai pu mener, pour trancher. Je ne le vois réellement que comme un élément déclencheur qui contraint la femme à l’isolement et la conduit à l’introspection, lui permettant par-là même de se retrouver et de se révéler.

« Le mur invisible » est un roman du quotidien dans lequel il se passe à la fois peu et beaucoup de choses. Il se nourrit du combat de la femme pour sa survie ainsi que de la vie qu’elle maintient en subvenant aux besoins de ses bêtes. Une relation d’attachement et de dépendance s’instaure entre elle et les animaux.

La femme ne regrette pas la société humaine mais il semble évident qu’elle ne survit que parce qu’une autre relation s’est tissée entre elle et ses bêtes :

« […] aussi longtemps qu’il y aura dans la forêt un seul être à aimer, je l’aimerai et si un jour il n’y en a plus, alors je cesserai de vivre. Si tous les hommes m’avaient ressemblé, il n’y aurait jamais eu de mur […]. Mais je comprends pourquoi ce sont les autres qui ont toujours eu le dessus. Aimer et prendre soin d’un être est une tâche très pénible et beaucoup plus difficile que tuer ou détruire. » (p.188)

Cette femme est isolée mais elle n’est pas seule. Le roman se clôt car elle n’a plus de papier pour écrire et nous autres lecteurs la laissons avec une farouche envie de vivre accompagnée d’animaux mais sans aucune attente à l’égard des humains.

Comme je l’ai écrit plus haut je ne connais pas l’oeuvre de Marlen Haushofer. J’ai eu envie de lire ce roman en entendant un libraire en parler. Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre quand je l’ai débuté, ce qui m’a permis je pense de mieux l’apprécier. La femme qui tient son journal de bord est forte, elle ne s’apitoie pas sur elle-même et n’en est que plus attachante. C’est un roman dont il n’est pas facile de parler, dont l’atmosphère est empreinte à la fois de dureté et de douceur.

9 réflexions sur “Le mur invisible – Marlen Haushofer

  1. Magnifique roman qui ne laisse pas indifférent. Je l’ai lu en septembre dernier et il m’a vraiment touchée. Ta dernière citation est superbe.

    • Merci Sandrion. Je vais de ce pas me rendre sur ton blog pour lire ton billet.
      Ce que tu dis est très juste : ce roman ne laisse pas indifférent. Il n’a pas vraiment de fin : ni dans le texte, ni dans notre esprit. Je l’ai terminé il y a quelques jours et j’ai l’impression d’avoir toujours un peu la tête dans la forêt…

    • C’est un roman assez marquant qu’il faut lire s’il on est disposé à la contemplation et la réflexion. Je veux dire par là qu’il n’y a pas d’intrigue, pas de rebondissement. Mais en parcourant tes derniers billets, je pense que tu pourrais l’apprécier…

  2. J’aime beaucoup les extraites que tu cites, ils mettent en avant une certaine forme de sérénité que j’ai vraiment apprécié dans le roman, là où d’autres ont d’avantage ressenti de l’angoisse.
    Merci pour ton billet.

    • Merci à toi pour ton commentaire Moglug. Je comprends que l’on puisse ressentir une forme d’angoisse en lisant ce texte car il renvoie à une crainte que l’on a tous plus ou moins en nous. Cependant, comme toi j’y ai trouvé de la sérénité en me focalisant sur les ressentis de la protagoniste et non sur les miens. Elle mentionne à plusieurs reprises l’incertitude dans laquelle elle se trouve mais sans paraître la redouter. Elle accepte la situation et rebondit. J’ai vu dans ce roman une belle leçon de vie.

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